Abu Musab al-Zarqawi et le groupe Tawhid wa’l Jihad comptent au nombre des éléments les plus radicaux du jihadisme. Ils se trouvent derrière le dernier enlèvement de trois Occidentaux à Bagdad. Cependant, ils ne font pas allégeance à Oussama ben Laden et semblent avoir sur certains points leurs propres vues.
Depuis quelque temps, le nom d’Abu Musab al-Zarqawi apparaît de plus en plus souvent dans l’actualité quotidienne. Le groupe Tawhid wa’l Jihad, à la tête duquel il se trouve, est impliqué dans plusieurs actions dénotant une violence impitoyable, par exemple la décapitation de l’otage Nicholas Berg, qu’aurait commise Zarqawi lui-même.
Les actions attribuées au groupe se sont multipliées au cours de l’année 2004. A l’heure où nous publions ces lignes, Tawhid wa’l Jihad menace dans une vidéo adressée à Al Jazira – d’exécuter un Britannique et deux Américains enlevés cette semaine dans leur résidence de Bagdad. Il revendique la libération de femmes irakiennes prisonnières.
Né en Jordanie en 1966, d’origine palestinienne, issu d’une milieu pauvre, Zarqawi aurait apparemment eu une adolescence dissipée et connu une conversion en prison, avant de partir en Afghanistan en 1989. A la fin des années 1990, il aurait organisé la venue en Afghanistan de Jordaniens désireux de s’entraîner pour le jihad dans les camps tenus par Al Qaïda.
Selon la notice biographique établie par Global Security, il aurait établi en l’an 2000 son propre camp d’entraînement à Herat. Zarqawi aurait fourni le soutien matériel et financier aux auteurs de l’assassinat du diplomate américain Laurence Foley (qui travaillait pour l’agence USAID) le 28 octobre 2002 à Amman.
Depuis 2002, Al Zarqawi opérerait à partir de l’Irak, mais avec en lien avec des réseaux dans d’autres régions du monde. Cependant, bien des choses sont incertaines au sujet de Zarqawi, surtout dans le contexte actuel. Même des documents qui lui sont attribués ne sont pas toujours authentiques: ainsi, la lettre qu’il aurait adressée à Ben Laden et que les services de renseignement disent avoir interceptée au début de l’année 2004 est considérée par beaucoup d’observateurs comme un faux (la traduction anglaise intégrale de ce document est disponible sur ce site).
C’est donc avec d’autant plus d’intérêt que l’on lit un article apparemment bien documenté, publié le 15 septembre 2004 par la Neue Zürcher Zeitung, quotidien suisse de réputation internationale.
L’article s’intéresse à la situation dans la ville de Fallujah, localité devenue un véritable symbole de la résistance iranienne. Zarqawi serait lui-même établi à Fallujah avec un certain nombre de ses hommes. L’article évoque également le rôle d’un imam sunnite radical, le Sheikh Abdallah al-Janabi, qui s’est manifesté par ses positions intransigeantes et appartient à une tribu influente.
Les partisans de Zarqawi affirment que 2.000 combattants arabes se trouvant sous ses ordres résideraient aujourd’hui à Fallujah; selon des sources américaines citées par l’article, ce chiffre serait cependant très exagéré et ne dépasserait pas quelques petites centaines, plus un nombre équivalent de sympathisants irakiens.
Les membres du Tawhid soulignent que Zarqawi n’appartient pas à Al Qaïda et n’a jamais fait serment d’allégeance à Ben Laden. Les uns et les autres partageraient simplement l’adhésion à des méthodes semblables pour mener le jihad. Cela montre une fois de plus le danger de vouloir ranger sous l’étendard d’Al Qaïda l’ensemble des manifestations de militantisme radical: les interactions existent, mais sont bien plus complexes – et non dénuées parfois de désaccords ou de concurrence, malgré une même hostilité envers les ennemis communs.
Les partisans de Zarqawi ont également confirmé au journaliste de la Neue Zürcher Zeitung la haine de leur chef pour les chiites: non seulement leur enseignement théologique est considéré comme une hérésie, mais le rôle qu’ils ont pu acquérir en Irak depuis la chute du régime de Saddan Hussein est un raison de plus de les combattre.
Comme le note l’auteur de l’article, ces propos confirmeraient les longs passages très hostiles aux chiites de la lettre du début de l’année 2004 à l’authenticité incertaine. La lettre proposait une véritable stratégie de guerre civile entre sunnites et chiites, stratégie que Ben Laden aurait rejetée, précise l’article. Cela n’a pas empêché Zarqawi et ses partisans de poursuivre leurs efforts. Différentes opérations sont attribuées à ce groupe (dont l’attentat contre le quartier général de l’ONU à Bagdad), qui serait notamment responsable de la mort de l’Ayatollah Hakim et de plus de 80 Irakiens lors d’un attentat commis durant les célébrations d’Ashura à Nadjaf, le 29 août 2003.
Dans une très intéressante analyse sur les implications du renouveau chiite en Irak, publiée dans le Washington Quarterly (été 2004), le chercheur Vali Nasr faisait remarquer que la compétition pour le pouvoir entre chiites et sunnites représentait l’un des facteurs cruciaux qui détermineraient l’avenir de l’Irak. Les chiites constituent la majorité de la population de l’Irak. La réaffirmation du chiisme dans l’espace public irakien aura des répercussions bien au delà des frontières du pays. Cette rivalité renforce par contre-coup le militantisme sunnite, qui voit dans la place croissante occupée par les chiites une menace.