Cette semaine, le secrétaire d’Etat adjoint Richard Armitage a annoncé à Beijing qu’un groupe musulman indépendantiste ouïgour avait été ajouté à la liste américaine des groupes terroristes. Le 28 août, l’ambassade des Etats-Unis à Beijing a précisé que le Mouvement islamique du Turkestan oriental avait préparé des attentats contre des intérêts américains à l’étranger. Le Mouvement islamique du Turkestan oriental est le premier groupe ouïgour à se retrouver sur la liste américaine. Des organisations ouïgoures et des militants pour les droits de l’homme estiment que la décision des Etats-Unis va laisser à la Chine les mains libres pour prendre des mesures sévères contre le groupe séparatiste dans le Xinjiang.
Le Mouvement islamique du Turkestan oriental est le premier groupe séparatiste ouïgour à être ajouté à la liste des organisations terroristes établie par les Etats-Unis.
Richard Armitage, secrétaire d’Etat adjoint, a annoncé publiquement cette décision le 26 août lors d’un voyage à Beijing. “A la suite d’un examen attentif, nous avons estimé qu’il s’agissait d’un groupe terroriste et qu’il avait commis des actes de violence contre des civils sans défense sans se soucier de ceux qui allaient être frappés.”
Le 28 août, des représentants de l’ambassade des Etats-Unis à Beijing ont commenté cette décision. Ils ont expliqué que le groupe établi au Xinjiang avait planifié des attentats contre des intérêts américains à l’étranger, dont l’ambassade américaine au Kirghizstan. Un article publié le 29 août dans le Washington Post cite des propos d’Askar Aitmatov, ministre des Affaires étrangères du Kirghizstan, selon lequel il y avait des raisons de penser que l’ambassade à Bichkek avait été choisie comme cible, mais sans fournir de précisions.
La décision américaine a surpris beaucoup d’Ouïgours et d’observateurs internationaux. Ils craignent que l’ajout d’un groupe peu connu à la liste des organisations terroristes n’ait un impact négatif sur les autres Ouïgours musulmans qui vivent dans la province du Xinjiang, dans l’Ouest de la Chine.
Selon le recensement chinois le plus récent, il y aurait 7,2 millions d’Ouïgours. Ils se battent pour obtenir un Etat indépendant depuis 1759, lorsque la Chine envahit le royaume ouïgour du Turkestan oriental, rebaptisé Xinjiang (“nouveau territoire”) en 1876. […] Plusieurs organisations ouïgoures dans le pays et à l’étranger ont poursuivi leur combat pour l’indépendance – un combat que le gouvernement chinois tente de présenter comme s’appuyant sur le terrorisme et présentant un danger pour la sécurité internationale.
Mais Enver Ca, président du Congrès national du Turkestan oriental, dont le siège se trouve à Munich, affirme que les Ouïgours n’ont jamais été des extrémistes religieux. De plus, souligne-t-il, il existe à travers le monde des douzaines d’organisations ouïgoures, mais le Mouvement islamique du Turkestan oriental est pratiquement inconnu. Il se demande même si ce mouvement est assez grand pour être classé parmi les groupes ouïgours indépendants. “Il y a un petit groupe de gens qui se sont d’abord enfuis en Asie centrale, vers les républiques limitrophes. Après que [les gouvernements locaux] eurent commencé à renvoyer certains Ouïgours en Chine, ceux qui restaient sont passés vers le Pakistan et l’Afghanistan. Ils y ont reçu abri et pour différentes raisons […] ils ont adhéré à un groupe ou à un autre en Afghanistan.“
Comme beaucoup d’autres Ouïgours, Can craint que la décision d’inclure le Mouvement islamique du Turkestan oriental sur la liste des groupes terroristes n’incite le gouvernement chinois, au nom de la lutte contre le terrorisme, à accentuer sa politique répressive à l’égard des Ouïgours et à étouffer leurs efforts de réveil national et culturel.
“Placer une organisation ouïgoure quasiment inexistante sur la liste des organisations terroristes étrangères signifierait pour la Chine avoir reçu un feu vert. Parce que, depuis le 11 septembre, malgré les avertissements du président [George] Bush et de Mary Robinson [commissaire des Nations Unies pour les droits de l’homme], malgré aussi les appels des organisations internationales de défense des droits de l’homme pour que le combat international contre le terrorisme ne soit pas utilisé pour réprimer les Ouïgours, la Chine a renforcé sa présence militaire au Turkestan oriental [Xinjiang]. Ils intimident les gens; en arrêtant, en détenant et en condamnant des milliers d’Ouïgours; en portant atteinte à la liberté religieuse, en brûlant des livres. Tout cela signifie que la Chine fera tout son possible [pour réprimer les Ouïgours] si elle constate une tolérance [pour ses actions] de la part de l’Occident“, estime Can.
La décision américaine au sujet du Mouvement islamique du Turkestan oriental suscite de sérieuses préoccupations du côté des organisations internationales de défense des droits de l’homme. Maya Catsanis, responsable du service de presse d’Amnesty International pour la région Asie-Pacifique, est aussi d’avis que l’inclusion d’un groupe non représentatif des Ouïgours tel que le Mouvement islamique du Turkestan oriental sur la liste terroriste établie par les Etats-Unis est de nature à aggraver la situation déjà difficile de beaucoup d’Ouïgours.
Elle a expliqué à RFE/RL que le gouvernement chinois avait déjà commencé à utiliser le prétexte de la guerre contre le terrorisme pour justifier la répression contre les Ouïgours. Catsanis décrit ainsi les changements intervenus au Xinjiang au cours de l’année écoulée:
“C’est certainement devenu pire depuis le 11 septembre. Selon certaines estimations, environ 3.000 personnes auraient été arrêtées entre le 11 septembre et la fin de l’année. Des douzaines de personnes – au bas mot – ont été condamnées à de longues peines de prison pour des délits qualifiés de séparatistes. Il y a eu plusieurs exécutions, bien qu’il soit difficile d’obtenir des informations à ce sujet, car le gouvernement chinois n’indique plus publiquement qui a été exécuté et quand.“
Catsanis déclare que le gouvernement américain devrait veiller à ce que sa propre campagne contre le terrorisme ne laisse pas libre cours à des gouvernements comme celui de la Chine pour mener leurs propres campagnes contre les Ouïgours et d’autres groupes qui veulent leur indépendance ou le droit de préserver leur identité nationale et religieuse.
“Nous espérons certainement que le gouvernement américain se montrera vigilant en décidant qui est et qui n’est pas un groupe terroriste. Pour le gouvernement chinois, l’application de l’étiquette terroriste à ce groupe particulier est un coup [réussi]. Nous voudrions demander aux autorités américaines d’être très, très prudentes avec les informations qu’elles reçoivent sur qui est terroriste et avec l’usage qui est ensuite fait de ces informations. Parce que si elles en arrivent à interdire d’autres groupes qui ne sont pas terroristes et qui sont simplement des gens qui expriment leur volonté pacifique de faire sécession de la Chine, par exemple, cela pourrait donner un feu vert à la Chine pour aller de l’avant et renforcer sa répression“, selon Catsanis.
Tant les activistes ouïgours que les défenseurs des droits de l’homme expriment une profonde préoccupation: si les Etats-Unis n’indiquent pas une claire distinction entre le Mouvement islamique du Turkestan oriental et le mouvement nationaliste ouïgour au sens large, la Chine renforcera sa propagande contre le soi-disant terrorisme ouïgour dans le monde et intensifiera le recours à la violence pour réprimer tout type de dissidence parmi les Ouïgours dans sa province du Xinjiang.
Zamira Eshanova et Bruce Pannier
Copyright (c) 2002. RFE/RL, Inc. Reprinted with the permission of Radio Free Europe/Radio Liberty, 1201 Connecticut Ave., N.W. Washington DC 20036. www.rferl.org
Traduit de l’anglais par les soins de terrorisme.net
Prise de position de l’Uyghur American Association au sujet de la décision de placer le Mouvement islamique du Turkestan oriental sur la liste des groupes terroristes (29.08.2002):
http://www.uyghurinfo.com/viewNews.asp?newsid=6678 [ce lien n’existe plus – 04.06.2016]