Alors que l’enquête sur les attentats du 7 juillet 2005 bat son plein,les premières questions surgissent et les premiers enseignements sont tirés. Pouvait-on prévoir ces événements? Comment s’y est-on préparé?
Le 11 septembre 2001 avait pris tout le monde ou presque par surprise: nous savons certes aujourd’hui qu’existaient des indices que quelque chose se préparait, mais nul ne pouvait deviner où et quoi, malgré les troublantes observations d’agents du FBI sur des entraînements de pilotes…
Si les attentats de Londres ont aussi causé la surprise, ils n’étaient pas vraiment inattendus: tout le monde pensait que cela se produirait tôt ou tard. Il y a moins d’un mois, le Sunday Telegraph (19 juin 2005) avait révélé que, selon un document secret dont son correspondant chargé des questions de défense avait eu connaissance, le MI5 avait prévu la possibilité de replier son quartier général en dehors du centre de Londres en cas de catastrophe, en particulier d’attentat terroriste:
“Eliza Manningham-Buller, directrice générale du MI5, a expliqué que la seule question était quand – et pas si – des terroristes commettraient un attentat ‘catastrophique’ dans le centre de Londres. Le quartier général de l’organisation est considéré comme une cible de choix.”
Cible de choix, mais bien sûr beaucoup plus difficile à atteindre que les passagers des transports publics. A cet égard, il est intéressant de relire un article publié en ligne par Newsweek le 22 novembre 2004. Les journalistes Michael Isikoff et Mark Hosenball y expliquaient que les services de renseignement américains estimaient peu probable un attentat en préparation aux Etats-Unis, mais pensaient que la prochaine cible d’Al Qaïda serait Londres. Des échanges de communications avaient été repérés entre des responsables d’Al Qaïda au Pakistan et une cellule établie en Grande-Bretagne. Une cible à haute valeur symbolique (aéroport de Heathrow, Westminster…) aurait été envisagée.
Pour créer le chaos et la terreur, une banale rame de métro est probablement une cible aussi efficace. Apparemment, des services américains étaient déjà parvenus à la même conclusion en novembre, puisque l’article d’Isikoff et Hosenball signalait que “les craintes d’attentats terroristes avaient incité les agents du FBI basés à l’Ambassade des Etats-Unis à Londres à éviter d’utiliser le métro pour se déplacer”, l’utilisation du taxi dans un centre embouteillé leur valant d’ailleurs d’arriver régulièrement en retard à leurs rendez-vous…
Les transports publics, notamment le métro, étaient l’une des cibles possibles aux yeux de tous les experts sur les questions de sécurité. D’autant plus que les précédents ne manquaient pas, Madrid étant le dernier en date.
Mais comment surveiller efficacement un réseau étendu, avec 274 stations et, lors des heures de pointe du matin, 370.000 utilisateurs circulant à bord des rames? Quant aux bus, ils sont au nombre de 8.000 et transportent 325.000 personnes aux heures de pointe matinales.
Dans l’incertitude de pouvoir prévenir un attentat, les autorités étaient préparées à faire face aux conséquences que des actions terroristes – même de grande ampleur – pourraient entraîner à Londres. Des exercices d’urgence avaient régulièrement été organisés dans des stations de métro, le dernier au mois de juin.
En outre, un Strategic Emergency Plan (Plan stratégique d’urgence) a été mis au point en vue de coordonner les réactions et procédures, y compris en cas d’attentats ou autres catastrophes entraînant un nombre considérable de victimes. Sa dernière version date d’avril 2005. Un site web, UK Resilience [ce site n’existe plus, mais son contenu reste accessible grâce à Internet Archive – 18.06.2016], fournit en outre au public des informations tant sur les préparatifs à toute éventualité que sur les derniers développements en cas de catastrophe. En mars 2005, le gouvernement avait également esquissé un concept opérationnel pour le rôle du gouvernement central dans la réaction à des situations d’urgence, avec des aspects spécifiques en cas d’événements terroristes.
Les leçons du 11 septembre 2001 ont donc été tirées: les gouvernements des grands pays occidentaux savent qu’ils se trouveront tôt ou tard confrontés à des actions terroristes (y compris l’éventualité d’attentats de grande ampleur) et s’efforcent de prendre des mesures adéquates pour gérer les catastrophes et crises qu’ils risquent d’entraîner. Le degré de préparation est de plus en plus élevé, même s’il reste toujours une dose d’improvisation et de flottement, les situations réelles correspondant rarement aux scénarios de façon exacte. Les scénarios et exercices n’en demeurent pas moins indispensables pour réagir rapidement le moment venu.
Reste la question de savoir si les services de renseignement étaient en mesure de prédire que quelque chose allait se produire durant cette période, ou même ce qui allait se produire, à défaut d’en indiquer le jour et lieu exacts? Plusieurs critiques ont déjà été émises depuis les attentats du 7 juillet, notamment en raison de la décision prise en juin de baisser le niveau d’alerte.
Il faut tout d’abord rappeler cette évidence que les attentats “réussis” font la une des médias, mais que l’action de l’ombre des polices et des services de renseignement en déjoue d’autres, qui ne feront ainsi heureusement jamais les gros titres. Cette action joue un rôle dissuasif en limitant la marge de manœuvre des terroristes. Les services de sécurité ne peuvent prévenir tous les attentats, mais il ne fait guère de doute que, sans leur action, il y en aurait bien plus.
Au Royaume-Uni, le Joint Terrorism Analysis Centre (JTAC) a été créé en 2003 et est chargé d’analyser la menace. Comme on le sait, l’évaluation du degré de menace contre le Royaume-Uni avait tout récemment été abaissée – de “risque très élevé”, il était passé à “risque élevé”. Ce qui est tout différent d’une absence de risque! Il est facile de critiquer aujourd’hui les analystes qui ont inspiré cette décision, mais il faut aussi avoir conscience du nombre de fausses alertes et d’informations plus ou moins incontrôlables qui circulent en permanence, d’autant plus que tout service de renseignement essaie de se prémunir contre les conséquences de n’avoir rien vu venir. Et à force de crier au loup…
Il est vrai que des soupçons existaient, nous y avons déjà fait allusion plus haut, mais accompagnés de bien des incertitudes. Dans une des nombreuses analyses qu’il diffuse chaque mois sur le site du South Asia Analysis Group, l’expert du renseignement indien B. Raman rappelait le 7 juillet que les premières indications de la préparation d’un attentat à Londres avaient émergé en août 2004, après l’arrestation à Lahore de Mohammad Naeer Noor Khan, un informaticien partageant son temps entre Londres et le Pakistan, qui avait avoué travailler pour les communications d’Al Qaïda et transmettre des messages codés à des membres du réseau dans différents pays. C’est lui qui avait évoqué les plans d’un attentat contre l’aéroport de Heathrow. Les Britanniques avaient arrêté alors plusieurs personnes, sans révéler les résultats des interrogatoires, mais en faisant savoir que ceux-ci n’avaient pas confirmé les plans visant Heathrow.
Ni les journalistes ni les rédacteurs du présent site ne connaissent l’ensemble des données qui conduisent les analystes et autorités à évaluer la gravité de la menace: certaines informations filtrent, mais pas toutes (heureusement, d’ailleurs). A-t-on observé, dans les jours avant les attentats, une intensification des communications entre le Pakistan et des destinataires suspects en Grande-Bretagne, par exemple? Il serait intéressant de le savoir – mais dans ce cas, sans doute des enquêteurs auraient-ils soupçonné avant tout le risque d’une opération contre le G8. Le choix de ce moment précis pour un attentat à Londres était habile.
Probablement faudrait-il plutôt se demander quelle est la pertinence de degrés d’alerte à caractère très général, sauf dans les cas d’indices vraiment précis. Par rapport au terrorisme, des capitales comme Londres, Paris ou Washington doivent considérer pour les années à venir que le risque d’alerte demeurera en permanence élevé.
Que l’on partage ou non le concept de “guerre contre le terrorisme”, la menace à laquelle il s’agit maintenant de faire face sera en effet présente pour longtemps, quels que soient les destins personnels de Ben Laden ou de Zarqawi. La dynamique qui s’est mise en marche ne va pas s’arrêter demain, hélas…
La question est surtout de savoir si les groupes terroristes réussiront à renouveler leurs cadres avec des activistes ayant un degré de professionnalisme suffisamment élevé pour déjouer des surveillances de plus en plus perfectionnées, et où les nouveaux militants seront recrutés? A cet égard, les résultats de l’enquête de Londres pourraient apporter de précieuses informations.