D’où viennent les jihadistes du monde arabe dont les actions font régulièrement la une des journaux? quel est leur profil? Pour aller plus loin que la sécheresse des statistiques, deux chercheurs ont essayé de les analyser et de lever une partie du voile sur les combattants du jihad en Arabie saoudite et en Irak.
Le matin du dimanche 13 mars 2005, un activiste islamiste présumé a été tué, tandis que trois autres ont été capturés à Djeddah, en Arabie saoudite. Plusieurs policiers ont été blessés dans l’opération, après l’encerclement d’une maison par les forces de l’ordre, qui disposaient de renseignements selon lesquelles des personnes recherchées se trouvaient dans l’immeuble.
Un incident de plus dans la guerre entre gouvernements et groupes jihadistes. Mais, derrière ces statistiques, derrière ces comptabilités de tués ou de blessés, quels sont les profils des militants qui s’engagent dans ce combat à mort?
Deux récents articles nous donnent quelques précisions sur les origines des jihadistes en Arabie saoudite et en Irak.
Qui sont les membres d’Al Qaïda dans le Péninsule arabique?
Dans le numéro du printemps 2005 de l’ISIM Review, excellent périodique sur les recherches relatives au monde musulman contemporain, publié par l’International Institute for the Study of Islam in the Modern World (ISIM) [ce périodique n’existe plus, ni l’Institut qui le publiait – 18.06.2016], Roel Meijer (Université de Nimègue) s’est intéressé de plus près aux biographies de 48 terroristes les plus recherchés dont les noms ont été publiés sur les listes officielles saoudiennes ainsi qu’aux 12 extrémistes qui ont perdu la vie à Riyadh lors de l’opération du 12 mai 2004, menée au nom d’Al Qaïda dans la Péninsule arabique.
L’auteur note que 13 d’entre eux vivaient à Riyadh, dont pas moins de 9 dans le quartier de Suwaydi, qui paraît ainsi représenter un point chaud. Leur âge moyen est de 27 ans, les plus jeunes avaient 22 ans. Particulièrement frappant, le fait que nombre d’entre eux étaient mariés, notamment ceux qui sont morts dans l’attentat suicide de Riyadh.
Meijer note en outre une différence entre le mouvement islamiste non violent et les jihadistes: le niveau d’éducation est inférieur chez les seconds. Alors que les groupes islamistes non violents attirent beaucoup d’étudiants, seuls 18 personnes de la liste avaient atteint un niveau d’éducation supérieur. Aucun des dirigeants n’avait achevé sa formation secondaire.
Ceux qui avaient étudié avaient, pour la plupart, reçu une formation à l’Université islamique de l’Imam Muhammad bin Saoud, à Riyadh: cette formation religieuse contraste avec le profil classique des étudiants islamistes (médecine, sciences naturelles, formation technique). Ces “intellectuels” étaient aussi les idéologues du groupe, organisé de façon très hiérarchique pour cette branche saoudienne – ce qui explique aussi les difficultés de fonctionnement une fois le groupe décapité.
Une fois de plus, relève Meijer, le rôle de l’Afghanistan apparaît: la moitié des noms sont ceux de personnes passées par les camps d’entraînement afghans, certains déjà à un âge très jeune, avant d’avoir 20 ans…
D’où viennent les volontaires arabes en Irak?
Quant à l’expert israélien bien connu Reuven Paz, il vient de publier une analyse des volontaires arabes tués en Irak, dans le cadre de son Project for the Research of Islamist Movements (PRISM).
Pourquoi arabes? Tout simplement parce que l’immense majorité des jihadistes morts en Irak viennent du monde arabe, avec des rares exceptions de militants originaires d’autres parties du monde musulman ou de la diaspora. Un fait qui – relève Paz – peut s’expliquer par une dimension de solidarité arabe, mais aussi, plus simplement, par la proximité géographique et la facilité de franchissement des frontières pour ceux qui viennent de l’Arabie saoudite, du Koweït, de la Jordanie ou de la Syrie.
Au cours d’une période de six mois, Paz a rassemblé les noms de 154 volontaires tués en Irak, grâce aux ressources offertes par les sites jihadistes, qui en publient des listes.
Premier enseignement: la majorité sont des Saoudiens (61%), suivis loin derrière par les syriens (10,4%) – tandis que les Irakiens eux-mêmes n’offrent qu’un maigre 8,4% des combattants de la mouvance Al Qaïda tombés en Irak. Certes, de nombreux Irakiens ont trouvé la mort lors de la bataille de Fallujah, mais peu d’entre eux semblent avoir appartenu au groupe de Zarkawi ou à ses pareils.
Paz est en outre frappé par l’absence totale d’Egyptiens dans la liste, malgré l’importance de ce pays et le nombre de sympathisants de l’islamisme qui y vivent. En outre, il ne manquait pas d’Egyptiens en Afghanistan, en Bosnie ou en Tchétchénie. Sans avoir de réponse définitive, Paz suggère de possibles éléments explicatifs: le déclin de l’influence du jihadisme en Egypte, la répression menée par les autorités égyptiennes, ou encore l’influence des Frères musulmans, qui soutient en principe le jihad en Irak, mais décourage ses membres d’y participer.
Parmi les Saoudiens, 61 tués sur les 94 recensés provenaient de la région de Najd (principalement Riyadh), ce qui va dans le même sens – et même nettement plus loin – que les observations de Meijer précédemment citées. A noter que nombre d’entre eux proviendraient de familles et tribus honorablement connues dans le Royaume saoudien.
La majorité des Saoudiens présents avaient entre 25 et 30 ans et étaient mariés. Paz signale que plusieurs avaient un niveau de formation élevé (ce qui contraste avec les observations de Meijer) et que deux étaient de jeunes hommes d’affaires. L’un était un capitaine de la Garde nationale saoudienne, qui semble être le corps le plus exposé à la propagande jihadiste, à la lumière de plusieurs affaires.
Autre différence avec l’échantillon jihadiste de Meijer: nous nous trouvons en Irak en partie face à une nouvelle génération, qui n’est pas passée par les camps afghans – rares sont les défunts qui avaient combattu sur d’autres terrains du jihad mondial. Nous pourrions suggérer pour cela différentes interprétations: l’une d’entre elles pourrait être de voir dans l’Irak le nouveau terrain de formation de la prochaine vague jihadiste, comme certains observateurs le pressentent depuis quelque temps déjà.