Deux intéressants articles sur la lutte de la France contre le terrorisme dans la presse française du 6 décembre – dont un entretien accordé par le chef de la DST à un quotidien parisien. La France s’inquiète particulièrement de la possibilité d’attentats frappant des cibles françaises en dehors du territoire national: les mesures de vigilance prises rendent en effet plus difficile une action en France même. En l’absence d’informations précises, les services français préfèrent éviter des avertissements vagues et répétés. Convaincu que Ben Laden est toujours vivant, le chef de la DST ne le voit pas pour autant derrière chaque attentat des derniers mois. Et il se réjouit d’une coopération sans précédent avec les services américains.
A l’approche des fêtes de fin d’année, plusieurs pays européens prennent discrètement des mesures pour parer, autant que possible, à tout risque d’attentat durant cette période “sensible”. C’est notamment le cas en France et en Grande-Bretagne, même si les mesures s’efforcent en même temps d’éviter tout ce qui pourrait causer l’inquiétude ou porter atteinte aux activités commerciales toujours intenses de cette époque de l’année. En même temps, l’on se souvient du projet d’un groupe islamiste qui avait prévu de commettre un attentat lors du célèbre marché de Noël de Strasbourg en l’an 2000. Des interpellations dans le cadre de cette affaire ont d’ailleurs eu lieu en France en novembre 2002 – et une surveillance attentive entourera le marché de Noël cette année.
Pour de légitimes raisons, les autorités s’abstiennent de donner tous les détails sur les mesures de sécurité prises. Mais plusieurs organes de presse français font ces jours un tour d’horizon sur le terrorisme. Ainsi, le magazine Le Point (6 décembre 2002) rappelle que la France est l’un des pays potentiellement les plus menacés, non seulement parce qu’il est désigné parmi d’autres dans les récentes déclarations attribuées à Oussama ben Laden, mais aussi parce qu’il détient nombre d’individus liés à la mouvance islamiste radicale.
Cependant, à en croire les déclarations faites par des membres des services compétents au journaliste Jean Guisnel, la menace ne vise peut-être pas avant tout le territoire français lui-même: en effet, la vigilance très intense des services de sécurité réduit considérablement la marge de manœuvre d’éléments extrémistes. Les policiers et agents français estiment être en mesure de “ramener le risque à un niveau acceptable“, grâce au travail mené depuis de longues années. Les autorités craignent avant tout des actions menées contre “des intérêts et des personnes clairement identifiées pour leur appartenance communautaire ou nationale” à l’étranger. Une éventuelle guerre contre l’Irak aurait entre autres conséquences la montée de réactions non seulement anti-américaines, mais anti-occidentales en général.
Prêtons également attention aux déclarations faites aux journalistes Jacques Amalric et Patricia Tourancheau par Pierre de Bousquet de Florian, placé le 3 juillet 2002 à la tête de la Direction de la surveillance du territoire (DST); ses réponses ont été publiées dans le quotidien Libération (6 décembre 2002).
Le chef de la DST explique qu’il y a certes des craintes quant à de possibles attentats, mais pas d’informations précises pour le moment. Contrairement à certains autres pays, les services français préfèrent donc ne pas multiplier les alertes fondées sur de simples indices vagues, en raison de l’usure que cela entraîne. De plus, répandre une inquiétude permanente “d’une certaine façon […] fait le jeu des terroristes“. Sur la question de menaces chimiques ou bactériologiques, notamment, “des bruits circulent“, mais rien de suffisamment précis. En outre, toutes les mesures préventives ne peuvent évidemment pas empêcher l’acte commis par une “personne isolée ou exaltée“.
Pierre de Bousquet de Florian dit ne pas redouter forcément les “cellules dormantes” souvent évoquées, mais “plutôt des individus dispersés qui ont été mis en relation à l’occasion de leur passage en Afghanistan, en ex-Yougoslavie ou dans le Caucase, qui peuvent se contacter, se retrouver rapidement en un point, rassembler au dernier moment les produits nécessaires à la fabrication d’un explosif, sans avoir la sottise de les stocker à leur domicile“.
Cela dit, il admet que certaines opérations sont préparées par des “cellules dormantes” dont les membres travaillent ensemble sur une opération durant une longue période. Il donne à cet égard l’exemple de l’attentat contre le pétrolier Limburg: la maison à partir de laquelle a été menée avait été louée un an auparavant, des renseignements précis avaient été patiemment recueillis – le bâtiment n’a pas été visé au hasard, mais parce qu’il avait une soute pleine de pétrole, contrairement à de nombreux autres qui passaient dans les parages en étant vides. De même, explique-t-il, l’attentat déjoué contre le marché de Noël de Strasbourg était également le fait d’une cellule dormante.
Le chef de la DST précise également que quelques dizaines de jeunes gens venus de France sont passés par les camps d’Al Qaïda en Afghanistan – “mais il y en a vraisemblablement autant en Grande-Bretagne, en Italie, en Allemagne, en Belgique“. Certains sont morts, d’autres revenus, d’autres disparus. Ceux qui restent actifs se montrent très mobiles, utilisent de fausses identités et des passeports de plusieurs pays.
Convaincu que Ben Laden est vivant (et une remarque indirecte de l’entretien suggère le Pakistan comme localisation), Pierre de Bousquet de Florian décrit adéquatement Al Qaïda: “ce n’est pas une organisation rigidement structurée, même si elle dispose de comités chargés de missions bien précises pour la mise en œuvre des actions déléguées aux opérationnels implantés dans les pays où les frappes ont eu lieu.” Les attentats de Djerba et celui contre le Limburg ont été commandités par Al Qaïda, estime le chef de la DST, soulignant l’existence de “revendications explicites“. En revanche, rejoignant l’interprétation prudente suggérée par terrorisme.net dès le 17 octobre, Pierre de Bousquet de Florian souligne qu’il n’y a aucune certitude que les auteurs de l’attentat de Bali aient demandé un appui ou feu vert de la part d’Al Qaïda: il préfère parler d’une “communauté d’inspiration“.
Enfin, entre autres intéressantes observations, le chef de la DST évoque la coopération avec les services américains, qui ont fait “un grand bond en avant“. Une “vraie collaboration” s’est enfin développée. Les partenaires partagent plus qu’avant “et nous font bénéficier des moyens techniques considérables dont ils disposent“. Face à une menace “planétaire“, les Américains “ont construit une approche planétaire“.